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Wingate : un parfait capitaine ?
A propos de O. C. Wingate, un parfait capitaine britannique, de Sarah Vajda, Le Polémarque, 340 pages, 18 €.
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Sarah Vajda nous révèle le destin hors norme du capitaine Wingate, officier britannique controversé dont les audaces militaires, en Palestine, en Afrique ou en Birmanie, ont révolutionné le monde des forces spéciales.

 

Sarah Vajda, qui s’est déjà penchée sur Barrès, Gary, Hallier, consacre un livre érudit et amoureux à un quasi-inconnu (en France), relevant finalement moins de la biographie que de l’épopée : Charles Wingate, qui semble tout droit sorti d’une œuvre de Kipling ou d’Hugo Pratt, est ce capitaine britannique qui, entre 1928 et 1944, a su profondément renouveler l’art de la guerre asymétrique – cette forme de guerre désormais devenue le lot quotidien des armées modernes.

L’épisode fondateur de sa vie de Wingate restera la « Mission Palestine » de 1936 : confronté à la Grande révolte palestinienne qui vise, en terrorisant les kibboutzim, à dissuader les juifs d’Europe d’immigrer au Levant, le jeune capitaine épouse la cause sioniste. Sans doute, comme le suggère Sarah Vajda, il aime les juifs de ressembler si peu aux fonctionnaires britanniques « engoncés dans leurs gilets de flanelle et leur fierté nobiliaire ou bourgeoise ». Il fonde les Special Night Squads, composées d’une poignée de  jeunes juifs – parmi lesquels Moshe Dayan – qui, cinq avant la création des célèbres SAS britanniques, vont jeter les bases des techniques modernes de contre-insurrection. Wingate, qui connaît la Bible par cœur, galvanise ses hommes en leur contant la geste héroïque des Hébreux de l’Écriture, tel ce Judas Maccabée boutant les Séleucides hors de Judée... Évidemment, il a fallu un peu de temps à ses camarades juifs pour admettre qu'un officier britannique leur voulût tant de bien… On ne s’étonnera pas d’apprendre que le plus grand centre dédié au sport en Israël porte le nom d’Institut Wingate. Mais, parallèlement, Wingate demeure à jamais pour les Nouveaux Historiens israéliens et les Palestiniens l’officier britannique qui a appris aux juifs à assassiner des arabes…

Désavoué en 1939 par sa hiérarchie qui lui reproche sa suspecte ardeur, son sionisme fusionnel, « Lawrence de Judée » est rappelé sur son île. Le Livre blanc, qui restreint l’immigration juive, reste inflexible. Et Sarah Vajda, en une poignante uchronie, d’imaginer un autre film, la suspension du Livre blanc, et ces millions de juifs d’Europe qui, au lieu d’être industriellement liquidés, auraient pu entrer dans la mort au cri de kadima ! (« en avant ! »), les armes à la main, en chantant l’Hatiqva et le God Saves the Queen...

 

Wingate poursuit la guerre en Ethiopie où à la tête des commandos de la Force Gidéon il épuise les bataillons fascistes. Et c’est Wingate lui-même qui reconduit l’empereur Hailé Sélassié sur son trône, ce qui donne à Sarah Vajda le plaisir d’écrire des pages sublimes sur les royaumes d’Abyssinie, terres du Négus dont les rastafariens ont fait leur Messie. Affecté sur le front birman, il organise une nouvelle force d’élite, les Chindits, parachutés derrière les lignes japonaises. Mais Wingate de connaîtra jamais l’issu du conflit puisque son avion s’enflamme en 1944. Et Sarah Vajda, ne pouvant se résoudre à abandonner son « parfait capitaine », de poursuivre son épopée dans notre monde d’après Auschwitz, d’après Dresde, d’après l’Exodus, un monde contre lequel Wingate aura opposé l’audace du spadassin, la fidélité du partisan, le visage de l’ami. Un mensch, probablement.

Bruno DENIEL-LAURENT

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