Pierre Herbart ou l’élégance du déclassé
A propos de Histoires confidentielles, de Pierre Herbart, Les Cahiers Rouges, Grasset, 192 p., 7,90 € et Pierre Herbart, l'orgueil du dépouillement, de Jean-Luc Moreau, Grasset, 624 p., 29 €.
« C’était un grand format que ce Pierre Herbart et un personnage sorti d’un moule unique… c’était Dorian Gray coupé de Bogart, avec de secrètes démarches à la Lawrence d’Arabie. » Voici en quels termes – empruntés au journaliste Yves Salgues – Jean-Luc Moreau a décidé d’ouvrir la réédition des Histoires confidentielles de Pierre Herbart, publiées pour la première fois en 1970 chez Grasset & Fasquelle. Proche de Cocteau, compagnon de voyage d’André Gide, sympathisant du Parti communiste, libérateur de Rennes en 1944 sous le nom de « général Le Vigan », Pierre Herbart n’avait encore jamais été l’objet d’une biographie : c’est désormais chose faite grâce à Jean-Luc Moreau qui, avec L’orgueil du dépouillement, offre un style digne de la carrure d’un écrivain dont l’élégance distante a su lier l’engagement et la liberté, le courage physique et l’abandon aux plaisirs équivoques.
Né à Dunkerque en 1903 d’une famille bourgeoise déclassée, le petit Pierre Herbart est bien l’enfant du terrible XXe siècle, ses premiers souvenirs mêlant le vacarme des bombardements et le spectacle des lourds paquebots sortant des chantiers navals. En 1921, il descend à Paris, fréquente bientôt Sachs et Cocteau auprès de qui il renforce son goût de l’opium, puis Gide qui introduit le jeune écrivain auprès de Gaston Gallimard. Au début des années 30, assistant la reporter Andrée Viollis dans un long séjour en Asie du Sud-est, il ressent en Indochine ce que Simone Weil appelait la « tragédie de la colonisation » et assiste à Shanghai aux exactions massives perpétrées par les troupes japonaises. Dès lors, hostile au colonialisme et à l’impérialisme, il croit plus que jamais en l’avenir radieux de l’idéal communiste, confondu avec le destin de l’Union soviétique et la grandeur du PCF où il choisit de militer ardemment. En 1935, Pierre Herbart publie Contre-ordre, un roman d’apprentissage stalino-compatible qu’il reniera plus tard. Car l’écrivain, invité par les autorités soviétiques à visiter la « Patrie du socialisme » se dépouillera peu à peu de ses illusions bolcheviques. Jean-Luc Moreau choisit de consacrer plus de 120 pages à cet épisode douloureux où Herbart, à l’instar de Gide, comprend qu’en URSS « rien n’est plus loin de ce que nous avions souhaité ou voulu. » La Ligne de force, essai publié en 1958 chez Gallimard, tirera le bilan de ces années d’engagement dont le dernier ne sera pas le moindre puisque le Mouvement de libération national l’aura nommé en 1944 délégué général régional pour la Bretagne.
Refusant les honneurs ou peut-être simplement les responsabilités, il ne profite pas de son expérience de cadre de la Résistance et préfère rester en dehors des coteries parlementaires, poursuivant un sacerdoce littéraire qui le conduira bientôt vers la misère sociale. Histoires confidentielles, recueil de textes refusé par Gallimard, fut d’ailleurs publié par Grasset dans une période où l’écrivain – qui allait mourir en 1974 – était aux abois. Excellente introduction à l’œuvre d’Herbart, ces histoires, tour à tour fantastiques et sentimentales, tendres et cruelles, révèle, au-delà d’une langue superbe, « une présence, un monde, un monde dont les marges sont chacune un autre monde. »
Bruno DENIEL-LAURENT