La déferlante « islamophobe », légende urbaine
A propos de Islamophobie, la contre-enquête, d’Isabelle Kersimon et Jean-Christophe Moreau, Editions Plein Jour, 288 pages
Un spectre hante la France : l’islamophobie. A en croire certains lanceurs d’alerte – tel le sémillant Edwy Plenel –, la détestation des musulmans s’étalerait au grand jour, relayé par des philosophes égarés et des médias dévoyés qui rejoueraient ainsi l’antienne xénophobe des années 30. Les deux auteurs d’Islamophobie la contre-enquête, loin de contester l’ampleur des actes délictueux, ont cherché à démêler ce qui relève effectivement d’une névrose obsessionnelle d’une partie de la société française et ce qui tient plutôt de l’instrumentalisation, l’extension abusive du mot islamophobie s’inscrivant dans la rhétorique de lobbys religieux ou militants.
Analysant les rapports annuels sur l’islamophobie, en particulier celui du CCIF, les auteurs mettent en évidence les abus d’interprétation (des fermetures administratives ou des refus de permis de construire, motivés par des raisons contingentes, sont considérés comme islamophobes) et mettent en perspective les différentes statistiques, démontrant ainsi que dans un contexte de progression des actes anti-religieux, le culte chrétien est le plus touché en nombre, le culte israélite le plus affecté en proportion et le culte musulman le plus touché en progression.
L’intérêt de cette contre-enquête réside aussi dans ses préoccupations sémantiques (l’usage du terme islamophobie dans les sciences coloniales ou la révolution khomeyniste), dans sa volonté de battre en brèche certains mythes (tel l’impunité supposé des auteurs d’actes anti-musulmans) et d’offrir une passionnante étude de cas sur l’affaire de la crèche baby-Loup.
En conclusion, cette contre-enquête documentée et mesurée pointe ce qui est peut-être le vrai danger : celui de renoncer à toute analyse rationnelle des manifestations de rejet de l’islam dans la société française pour lui préférer la thèse catastrophiste d’une « déferlante islamophobe » porteuse d’un choc de civilisation à venir. Contre chacune de ces deux grandes peurs qui s’alimentent l’une l’autre, il est assurément urgent de se confronter sans crainte aux différentes manifestations de l’islam, et tenter d’embrasser en un même regard ses purulences belliqueuses et ses admirables ravissements.
Bruno DENIEL-LAURENT
Marianne - janvier 2015