Seul dans Berlin : la voix des taiseux courageux
A propos de Seul dans Berlin, de Hans Fallada, Folio, 560 pages,, et de la pièce Seul dans Berlin, mise en scène de Luk Perceval.
En 1946, alors qu’il vit ses derniers instants, l’écrivain allemand Hans Fallada écrit son ultime roman, Seul dans Berlin, inspiré par l’histoire vraie du couple Hampel, exécuté par la Gestapo pour propagande hostile au Reich. Salué par Primo Levi – qui y verra « l'un des plus beaux livres sur la résistance allemande antinazie » – Seul dans Berlin est une œuvre d’une exceptionnelle puissance nous permettant de saisir, de la façon la plus intime et la plus bouleversante, les mécanismes de terreur, de conditionnement et de perversion du langage mis en place par les totalitarismes d’Etat du XXe siècle. C’est cette œuvre majeure que nous aurons la chance de pouvoir (re)découvrir à partir du 29 janvier, adaptée et mise en scène par Luk Perceval sur les planches du théâtre Nanterre-Amandiers. L’action débute dans un immeuble berlinois : Otto et Anna Quangel, des braves gens du peuple, apprennent un matin la mort de leur fils unique, tombé sur le front de France. Le drame dessille les yeux du contremaître qui prend la résolution d’écrire chaque dimanche des « cartes postales » dénonçant les mensonges du Reich, cartes qu’il déposera au hasard dans les halls d’immeubles. Ainsi, se dit Otto Quangel, les « autres » – les Allemands du quotidien qui sont, croit-il, autant de résistants silencieux – sauront qu’ils ne sont pas seuls… S’en suit alors une éprouvante partie de traque et de cache-cache entre les autorités policières du Reich et le méthodique propagandiste. Geste dérisoire et héroïque, exprimé au nom du principe d’espérance, l’acte de résistance d’Otto Quangel le mènera, on s’en doute, à sa perte. Mais c’est en perdant tout, solitaire parmi les solitaires, broyé par une machine procédurière perverse, qu’il pourra reconquérir le bien le plus précieux. Contre l’affaissement hystérisé, Fallada dessine la voix des humbles héros, des taiseux courageux, des martyrs pudiques.
Bruno DENIEL-LAURENT