Anthologie des bourdes et autres curiosités de la chanson française
A propos de l'Anthologie des bourdes et autres curiosités de la chanson française, d'Alister, La Tengo ǀ 202 p. ǀ 22 €
Au cinéma il y a les faux raccords ; en littérature il y a les coquilles ; en patinage il y a les gamelles ; et dans la chanson il y a les bourdes. L’idée de l’ahurissante anthologie que propose Alister – lui-même auteur-compositeur-interprète et cofondateur de la revue Schnock – est née à l’écoute des Chiens de Paille de Johnny Hallyday, un morceau country martial dans lequel l’idole des jeunes balance un incongru « C’était fin août, début juillet. » La découverte par Alister de cette gaffe primitive, passée inaperçue, l’a donc encouragé à explorer les bas-fonds de la chanson française de la seconde moitié du XXe siècle afin de débusquer les innombrables boulettes, fautes de goût, curiosités et autres « licences poétiques » qu’il a classées en plusieurs catégories : les erreurs historiques (Jean-Jacques Goldman imagine les « ruines d’un champ de bataille » en Allemagne en 1917), les fautes géographiques (Jacqueline Taïeb disserte sur les « mines de charbon d’Angleterre de Cardiff et Glasgow »), les contre-sens scientifiques (Francis Cabrel a des souvenirs « gravés dans la mémoire pour des années-lumière »), les liaisons dangereuses (Charles Aznavour dont les « derniers disques pop sont poussés R’au maximum » ; ou Barbara qui « avait mis T’aux enchères une gloire déchue »…), sans oublier la syntaxe massacrée, les erreurs de genre, le charabia ou les paroles tue-l’amour (« Chaud comme une crêpe au chorizo » de Vanessa Paradis ; « Cette manière de traverser, quand elle s’en va chez le boucher » de Pierre Bachelet). La faute, parfois, s’affiche à même la pochette du disque en grosses lettres criardes : « Ne raccroches pas ! » nous susurre Carène Cheryl ; « Tu n’est pas venu » se désole Nancy Holloway… Alister déroule aussi un catalogue des titres malaisés (« Le gibier manque et les femmes sont rares », par Serge Lama ; « Dodus les mollets » de Catherine Burban, ou l’outrecuidant « choix dans la date » de Gérard Jugnot…) Ajoutez à cela une recension des clichés navrants, une galerie des pires pochettes et un chapitre consacré à l’utilisation récurrente du mot « M… » dans la chanson française et vous obtenez une anthologie hilarante qui a aussi le mérite de nous faire replonger dans une époque où le 45 tours était roi.
Bruno DENIEL-LAURENT
La Revue des Deux Mondes - février 2023