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De laTerreur rouge à l'Etat terroriste
A propos de De la terreur rouge à l’État terroriste, de Yuri Felshtinsky & Vladimir Popov, Editions du Cerf | 524 p. | 2023.​
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Tchéka, Guépéou, NKVD, KGB, FSB… Depuis que Lénine a confisqué à son profit la révolution de février 1917, les services de sécurité soviétiques/russes ont à une quinzaine de reprises changé la combinaison des lettres de leur acronyme. Pour l’historien russo-américain Yuri Felshtinsky, ces multiples changements de nom trahissent la volonté permanente des dirigeants communistes de tenir les brides d’une police d’Etat qui était à la fois le bouclier du Parti et son plus redoutable concurrent. Formée par Dzerjinski en décembre 1917 afin de permettre à Lénine d’écraser ses concurrents d’extrême-gauche, la Tchéka, dès l’origine, acquiert un pouvoir extraordinaire que seul le Comité central du Parti pouvait limiter. Mais la lutte sourde et sanglante entre l’establishment (post)communiste et les « tchékistes » s’est achevée à la fin des années 1990 au bénéfice de ces derniers : au terme de trois tentatives de prise du pouvoir par la force (coup d’Etat d’août 1991 ; rébellion du Soviet suprême contre le « libéral » Eltsine en octobre 1993 ; troubles violents lors des élections présidentielles de 1996), la sécurité d’Etat est finalement parvenue à s’emparer en 2000 de la plus haute fonction de la Fédération de Russie, le président sortant, Eltsine, ayant été contraint de trancher entre trois possibles successeurs : Primakov (directeur du Service des renseignements extérieurs), Stepachine (directeur du Service fédéral de sécurité) et un certain Poutine (directeur du FSB), jeune officier sans prétention aux cheveux négligés. On connait la suite : légalement élu le 7 mai 2000, Vladimir Poutine – sur le bureau duquel trône, ce n’est pas un hasard, le buste de Dzerjinski – a désormais la possibilité théorique de se maintenir au pouvoir jusqu’en 2036, ce qui lui permettrait de dépasser allègrement les trente années (1923-1953) du « petit père des peuples »… Publiée aux Etats-Unis peu avant le déclenchement de l’« opération militaire spéciale », l’étude que Yuri Felshtinsky consacre à l’institution toute-puissante des services secrets russes ne se lit certainement pas comme un roman de John Le Carré : labyrinthique et aride comme un couloir de la Loubianka, ce livre demeure pourtant une roborative dissection d’une institution secrète et tentaculaire dont les membres – lorsqu’ils ne succombent pas à la loi de la gravité ou à une indigestion au novitchok – savent qu’ils n’auront jamais le loisir de faire valoir leurs droits à la retraite.

 

Bruno DENIEL-LAURENT

La Revue des Deux Mondes - novembre 2023

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