Guillotinées
A propos de Guillotinées, de Cécile Berly ǀ Passés composés ǀ 172 p.
Dans les derniers mois de 1793, quatre femmes célèbres aux destins aussi dissemblables que possible meurent sous la guillotine. La première, Marie-Antoinette, incarne cet ancien régime que le nouvel ordre révolutionnaire tient en horreur ; à l’opposée, Manon Roland a été l’une des égérie des révolutionnaires girondins ; Jeanne du Barry, prostituée de luxe et favorite de Louis XV, a quant à elle eu l’audace criminelle d’affirmer une personnalité ; et Marie Gouze, dite Olympe de Gouges, a publié deux ans plus tôt la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, un libelle destiné à faire enfin reconnaître les mérites de ce « sexe supérieur en beauté comme en courage ».
Spécialiste du XVIIIe siècle, Cécile Berly choisit de nous faire vivre, et combien intensément, les dernières heures subies par ces quatre femmes, tour à tour arrêtées, incarcérées, jugées, condamnées, guillotinées. On sait qu’en cet automne 1793, la révolution sociale prônée par les Montagnards et leurs milices de sans-culottes révulse le pays. Les populations de l’Ouest se sont levées contre l’oligarchie jacobine, tout comme les fédéralistes du sud de la France. Obsédée par l’idée de raccourcir l’ennemi, qu’il soit extérieur ou intérieur, réel ou fantasmé, le pouvoir frappe de part en part. Les femmes n’ont évidemment pas l’apanage de la guillotine, mais il est clair qu’en les condamnant, la justice révolutionnaire cherche aussi à remettre de l’ordre entre les espaces et les genres, comme si les idées a priori féminines des accusées ne pouvaient pas être autre chose que le fruit pervers d’une conscience dénaturée. Marie-Antoinette est ainsi l’objet d’accusations vertigineuses, tous les registres pornographiques et scatologiques ayant été mobilisés pour faire de cette femme la lie de l’humanité. Le procès d’Olympe de Gouge, plus expéditif, lui offre l’occasion de faire montre de son éloquence mais les dés sont pipés : elle sera accablée de tous les maux en raison de sa prétention (féminine) à fouler l’espace public (masculin) par l’écriture, tout comme Manon Roland, elle est aussi accusée d’être la complice d’une vaste conspiration contre la République une et indivisible. Moins familière de la glaçante logique révolutionnaire, Jeanne du Barry, condamnée à mort pour « intelligence avec les ennemis de l’Etat », s’évanouira à l’annonce du verdict. Les pages consacrées à la mort de la du Barry sont d’ailleurs les plus poignantes puisqu’au contraire des trois autres, elle n’affrontera pas la guillotine à la bravade, paraissant en cet instant terriblement humaine, à mille lieux de la logique épuratrice de ses vertueux accusateurs.
Bruno DENIEL-LAURENT
La Revue des Deux Mondes - juillet août 2023