L'insoutenable légèreté du coma
A propos de Tours de Garde, d’Antoine Piazza. Le Rouergue, 128 pages. 13,80 €.
Camille voulait rattraper son chat : elle a chuté. Dans la chambre 802, offerte aux soins de l’équipe du service de neuro-traumatologie de l’hôpital Trousseau de Tours, Camille est vivante mais son corps immobile n’existe plus que par l’ampleur des blessures qu’il contient et par les initiatives prises pour conserver en lui un peu de sa machinerie intime. A son chevet se tient le narrateur de Tours de Garde, en qui l’on reconnaît le mari – dans la vie civile – de Camille. Le coma de l’épouse sera sa prison temporaire. Commence alors une longue parenthèse tourangelle, en cette ville ligérienne dont les ponts, râblés comme des animaux dodus, collent au fleuve plutôt qu’au ciel. Écartelé entre la Maison des Parents, étrange lieu de villégiature qu’administrent des retraités bénévoles et angoissés, et la chambre 802 qui n’est pas le lieu de la peur ou de l’espoir mais celui de l’attente, le narrateur vit au rythme des péripéties médicales – intubation, gestion des œdèmes cérébraux, craniectomie, arrêt cardiaque, extubation – et du va et vient des patients, des familles, des soignants. Il règne une atmosphère de longues vacances, on se lie avec des inconnus des passages et on s’observe, on se compare et on se sépare.
Antoine Piazza, avec ces Tours de garde, nous fait don de cette écriture sobre et délicatement sagace qu’il avait déjà su déployer dans son Voyage au Japon. Loin d’être larmoyant, ce récit épuré se lit au contraire comme une paradoxale expérience de régénération ; car guérir, surtout lorsqu’on revient des derniers cercles du coma profond, c’est rajeunir, et c’est aussi naître une seconde fois, réapprendre à ciller, articuler, sourire, marcher. Vulnérables, mais sans faiblesse, les grands rescapé(e)s de Tours de garde nous rappellent que nos existences distraites peuvent aussi s’affermir dans l’épreuve douloureuse et merveilleuse de la renaissance.
Bruno DENIEL-LAURENT